*Sur les traces des Corses du Bagne*
*Elias HALILE-AGRESTI (e.halile-agresti@agmedias.fr) Lundi 9 Mai 2022 - 10h01*
*Loin de l’île de beauté, ils sont des centaines, sans doute des milliers de corses, à être passé dans les geôles des bagnes guyanais. Ils étaient nombreux aussi, parmi le personnel pénitentiaire des bagnes. Principalement aux îles du Salut, c'est là qu'ils ont laissé le plus de traces, commente Elias Halile-AGRESTI
Elle assure qu’à l’époque, les bagnards se regroupaient d’abord et avant tout par communauté : « L’essentiel était d’essayer de se protéger, et donc, d’être en groupe. C’est pour cette raison que la plupart des bagnards ont essayé de se regrouper par communauté. Que ce soit des communautés régionales, ou des communautés de travail. C’est le cas des souteneurs de Montmartre, et c’est aussi le cas des bagnards issus de la mafia marseillaise. Ils se sont spontanément regroupés entre eux. Les Corses, eux, ont l’avantage de pouvoir se regrouper et de communiquer sans être compris de la plupart des personnes, sauf des surveillants corses avec lesquels ils peuvent discuter de façon discrète. Donc la langue corse fût un avantage indéniable pour renforcer ce communautarisme, qui fait qu’ils ont été plus forts que des bagnards qui se sont retrouvés isolés. »
Les Corses ne sont pas seulement passés par les bagnes de Guyane, ils y ont aussi laissé des traces, parfois visibles, comme l’explique Aurélie Schneider : «On a des pierres tombales de surveillants qui ne laissent aucune place au doute. On a également des gravures, notamment dans les cellules ou sur des pierres, qui peuvent nous indiquer le passage de Corses. C’est le cas aux îles du Salut où on peut avoir certains décors, ou certains noms gravés sur les murs, qui peuvent laisser penser que ce sont des Corses qui les ont faits. Et à Saint-Joseph, dans un endroit que l’on aimerait garder le plus secret possible, une carte de Corse a été gravée sur un mur. C’est une image qui est fameuse, et qui atteste de la présence corse dans les bagnes de Guyane. Mais pour le moment, il est impossible de savoir si c’est un gardien ou un bagnard, qui a gravé le souvenir de son île.»
Ce travail de mémoire tient particulièrement à cœur à Aurélie Schneider : «C’est très important pour moi de développer ce devoir de mémoire vis-à-vis de tous ceux qui sont passés dans cette machine de l’administration pénitentiaire. Que ce soit des bagnards ou des surveillants. Souvent c’est un passé qui est assez flou pour les descendants, puisqu’on en parle peu. Ça n’est pas très glorieux d’avoir un bagnard dans sa famille, idem pour les gardiens, parce que effectivement, on sait par beaucoup de témoignages que certains surveillants corses étaient connus pour leur cruauté. Non pas parce qu’ils étaient corses, mais parce que puisqu’ils étaient beaucoup, il y avait plus de chances que certains d’entre eux tombent dans ces dérives dramatiques, causées par le système de l’administration pénitentiaire.
Donc les familles essayent de trouver des réponses. De mon côté je suis heureuse, à mon petit niveau, de pouvoir leurs en apporter. Leur dire si on sait où leur ancêtre est enterré, s’il a pu s’évader… Même s’il est difficile de connaître leurs destins. Il faudrait prendre chaque dossier individuellement pour cela. Mais c’est un travail que l’on fait avec les archives, et si nous ne parvenons pas à retrouver une information, on peut diriger les familles vers les archives d’Aix-en-Provence, ou de Rémire-Montjoly, pour poursuivre les recherches.»
Outre l’origine, les détenus corses étaient souvent incarcérés pour le même motif, nous explique Aurélie Schneider : « Du côté corse, on a beaucoup de crimes de sang, c’est vrai. C’est dû au caractère, et à la culture de la vendetta (vengeance traditionnelle), qui fait que ces crimes sont assez fréquents, et très violents. On assiste à des querelles de familles qui se poursuivent parfois jusqu’au bagne. Par exemple, nous avons des courriers d’une famille qui s’inquiète du sort d’un de ses membres qui est envoyé au bagne pour avoir assassiné un membre d’une autre famille, et il va se retrouver garder par des surveillants membres de cette même famille... Deux ans plus tard, il va mourir dans des circonstances assez floues. Donc on voit bien que les crimes et les faits violents qui se passent en Corse, vont parfois avoir des excroissances jusqu’en Guyane.»
Ce récit des Corses qu'ils soient gardiens ou jetés dans les geôles coloniales de Guyane, instituées en 1852 et abrogées en 1936, mais fermées vingt ans plus tard, est donc une histoire d’hommes, de violences, d’horreurs, de détresse et parfois de lueurs d’espoir. Charles Péan en fut le témoin. Dès son premier voyage, en 1928, le salutiste est interpellé par un jeune détenu, voleur récidiviste, tandis que le bourreau monte, à côté, une sinistre guillotine. Le gamin réclame une cellule pour lui seul. Traqué par un caïd, il hurle qu’on le laisse tranquille. Demande rejetée : "Le lendemain, il gît là, dans la case, crevé, le ventre ouvert. Il a voulu résister…" écrit Péan. C’était il y a bientôt un siècle. Très loin de la Corse. C’était le bagne.
*Elias HALILE-AGRESTI (e.halile-agresti@agmedias.fr) Lundi 9 Mai 2022 - 10h01*
*Loin de l’île de beauté, ils sont des centaines, sans doute des milliers de corses, à être passé dans les geôles des bagnes guyanais. Ils étaient nombreux aussi, parmi le personnel pénitentiaire des bagnes. Principalement aux îles du Salut, c'est là qu'ils ont laissé le plus de traces, commente Elias Halile-AGRESTI
Elle assure qu’à l’époque, les bagnards se regroupaient d’abord et avant tout par communauté : « L’essentiel était d’essayer de se protéger, et donc, d’être en groupe. C’est pour cette raison que la plupart des bagnards ont essayé de se regrouper par communauté. Que ce soit des communautés régionales, ou des communautés de travail. C’est le cas des souteneurs de Montmartre, et c’est aussi le cas des bagnards issus de la mafia marseillaise. Ils se sont spontanément regroupés entre eux. Les Corses, eux, ont l’avantage de pouvoir se regrouper et de communiquer sans être compris de la plupart des personnes, sauf des surveillants corses avec lesquels ils peuvent discuter de façon discrète. Donc la langue corse fût un avantage indéniable pour renforcer ce communautarisme, qui fait qu’ils ont été plus forts que des bagnards qui se sont retrouvés isolés. »
Les Corses ne sont pas seulement passés par les bagnes de Guyane, ils y ont aussi laissé des traces, parfois visibles, comme l’explique Aurélie Schneider : «On a des pierres tombales de surveillants qui ne laissent aucune place au doute. On a également des gravures, notamment dans les cellules ou sur des pierres, qui peuvent nous indiquer le passage de Corses. C’est le cas aux îles du Salut où on peut avoir certains décors, ou certains noms gravés sur les murs, qui peuvent laisser penser que ce sont des Corses qui les ont faits. Et à Saint-Joseph, dans un endroit que l’on aimerait garder le plus secret possible, une carte de Corse a été gravée sur un mur. C’est une image qui est fameuse, et qui atteste de la présence corse dans les bagnes de Guyane. Mais pour le moment, il est impossible de savoir si c’est un gardien ou un bagnard, qui a gravé le souvenir de son île.»
Ce travail de mémoire tient particulièrement à cœur à Aurélie Schneider : «C’est très important pour moi de développer ce devoir de mémoire vis-à-vis de tous ceux qui sont passés dans cette machine de l’administration pénitentiaire. Que ce soit des bagnards ou des surveillants. Souvent c’est un passé qui est assez flou pour les descendants, puisqu’on en parle peu. Ça n’est pas très glorieux d’avoir un bagnard dans sa famille, idem pour les gardiens, parce que effectivement, on sait par beaucoup de témoignages que certains surveillants corses étaient connus pour leur cruauté. Non pas parce qu’ils étaient corses, mais parce que puisqu’ils étaient beaucoup, il y avait plus de chances que certains d’entre eux tombent dans ces dérives dramatiques, causées par le système de l’administration pénitentiaire.
Donc les familles essayent de trouver des réponses. De mon côté je suis heureuse, à mon petit niveau, de pouvoir leurs en apporter. Leur dire si on sait où leur ancêtre est enterré, s’il a pu s’évader… Même s’il est difficile de connaître leurs destins. Il faudrait prendre chaque dossier individuellement pour cela. Mais c’est un travail que l’on fait avec les archives, et si nous ne parvenons pas à retrouver une information, on peut diriger les familles vers les archives d’Aix-en-Provence, ou de Rémire-Montjoly, pour poursuivre les recherches.»
Outre l’origine, les détenus corses étaient souvent incarcérés pour le même motif, nous explique Aurélie Schneider : « Du côté corse, on a beaucoup de crimes de sang, c’est vrai. C’est dû au caractère, et à la culture de la vendetta (vengeance traditionnelle), qui fait que ces crimes sont assez fréquents, et très violents. On assiste à des querelles de familles qui se poursuivent parfois jusqu’au bagne. Par exemple, nous avons des courriers d’une famille qui s’inquiète du sort d’un de ses membres qui est envoyé au bagne pour avoir assassiné un membre d’une autre famille, et il va se retrouver garder par des surveillants membres de cette même famille... Deux ans plus tard, il va mourir dans des circonstances assez floues. Donc on voit bien que les crimes et les faits violents qui se passent en Corse, vont parfois avoir des excroissances jusqu’en Guyane.»
Ce récit des Corses qu'ils soient gardiens ou jetés dans les geôles coloniales de Guyane, instituées en 1852 et abrogées en 1936, mais fermées vingt ans plus tard, est donc une histoire d’hommes, de violences, d’horreurs, de détresse et parfois de lueurs d’espoir. Charles Péan en fut le témoin. Dès son premier voyage, en 1928, le salutiste est interpellé par un jeune détenu, voleur récidiviste, tandis que le bourreau monte, à côté, une sinistre guillotine. Le gamin réclame une cellule pour lui seul. Traqué par un caïd, il hurle qu’on le laisse tranquille. Demande rejetée : "Le lendemain, il gît là, dans la case, crevé, le ventre ouvert. Il a voulu résister…" écrit Péan. C’était il y a bientôt un siècle. Très loin de la Corse. C’était le bagne.