Le raccourci du Campu Santu (cimetière)
Grand-père Antoine-André et son frère Horace, ont passé la journée à tondre les moutons dans la bergerie de Nobilus. C’est de tradition, les quelques personnes qui savent encore le faire sont de plus en plus rares et recherchées, les deux frères en font partie.
Ils ont vécu leur enfance dans une ferme et seul leur appel sous les drapeaux à la Grande Guerre les a séparés. Ils vivent à présent en autarcie dans leur village entourés des leurs, une vie simple et tranquille, cultivent leur jardin, élèvent leur cochon, soignent et engraissent poules et lapins, vont à la pêche, truites ou anguilles dans le Golo et à la chasse au sanglier. Mais le moment passé à tondre les moutons constitue pour eux une distraction qu’ils ne sauraient manquer. Ils se retrouvent une dizaine dans l’ambiance qu’embaume la cinquantaine de bêtes bêlantes et remuantes qui attendent leur tour puis s’échappent sitôt délivrées, honteuse dans leur nouvelle tenue.
L’après-midi est un moment de fête. Marie, la femme du propriétaire a préparé un bon repas, copieux et bien arrosé, pas question de paye pour leur prestation mais chacun part avec une musette remplie de charcuterie et de fromage, celui-là même que la grand-mère, originaire du Niolu, savait si bien préparer et faire vieillir. On l’appelait alors ‘casgiu vechju’, il avait la consistance du beurre sortant du frigidaire, vous emportait la bouche et n’avait rien à envier au Maroilles pour l’odeur mais pour le goût … quel régal !
Voilà donc Antoine et Horace qui rentrent chez eux. La nuit tombe mais ils connaissent bien le chemin qui les y amènera rapidement.
Au moment de l’emprunter, ils sont abordés par trois jeunes demoiselles, soucieuses elles aussi, de rentrer à la maison avant la nuit, mais qui doivent, pour cela gagner du temps et prendre le même raccourci, celui qui longe le cimetière. Pas très rassurées à cette idée elles leur demandent si elles peuvent se joindre à eux. Bien sûr dit Horace, préparant déjà dans sa tête la peur qu’il envisage de leur faire.
Grand-père Antoine-André est un homme réservé, l’oncle Horace l’est moins et aime bien s’amuser de temps en temps, à faire quelques farces. Quand ils étaient jeunes, se rappelle grand-père n’avait-il pas fait cuisiner par sa mère un chat à la place du lapin et, en fin de repas, commencé a faire des miaous à l’adresse de la tablée puis dévoiler son méfait et prendre la fuite sans attendre son reste.
Alors de sa voix chaude et du haut de sa grande taille il leur dit : sachez, mesdemoiselles, que mon frère ici présent et moi, avons fait la guerre de 14, nous avons été tués tous les deux et nous venons de temps en temps rendre visite à ceux de nos camarades qui reposent là.
Les demoiselles n’écoutèrent par la suite de son récit et rebroussèrent chemin plus rapidement qu’il ne faut de temps pour le dire….