Dans une nouvelle, parue dans Le Figaro Magasine le 30 avril dernier, l’historien Thierry Lentz, par ailleurs écrivain et directeur de la Fondation Napoléon, raconte cette journée du 5 mai 2021, jour où fut ouvert le cercueil de Napoléon pour mettre un terme à la polémique relative à l’identité de l’occupant.
Il s’agit d’une nouvelle et non de la relation d’un fait mais elle relate tellement bien l’événement qu’elle le rend tout à fait plausible. Je ne résiste pas au plaisir de la reproduire ci-après.
Mercredi 5 mai 2921, 4 heures du matin.
Les gendarmes mobiles prennent position autour de l’hôtel des Invalides. Nul ne pourra pénétrer dans l’enceinte. Musées et services sont fermés à double tour, les pensionnaires sont consignés dans leurs chambres. Un mois plus tôt, l’homme de l’Élysée a signé le décret d’ouverture du tombeau de l’Empereur afin de constater qu’il contient bien son corps et d’établir les causes du décès.
Les opérations ont été fixées au jour du bicentenaire de la mort de l’exilé de Sainte Hélène.
L’ouverture des cercueils doit avoir lieu sous une tente aseptisée, en présence du président de la République et en tout petit comité. Bien qu’opposé à la ‘’profanation’’, le prince Napoléon a estimé que sa place était ici. Seuls doivent officier les scientifiques du laboratoire de la préfecture de police. Échantillons et clichés rejoindront ensuite l’armoire de fer des Archives nationales, avec interdiction de les communiquer pendant cent ans. Pas plus de quinze minutes d’ouverture, et on replacera les cercueils dans le tombeau faiblement scellé pour pouvoir tenir compte des conclusions des scientifiques : inhumation à Montparnasse si le corps n’est pas celui de Napoléon, fermeture définitive s’il s’agit bien de lui. La presse s’est élevée contre cette procédure ‘’en catimini ‘’.
Les tenants de la substitution enragent d’être privés du rêve de leur vie et s’apprêtent à contester les conclusions de la PP, quelles qu’elles soient. D’autres s’étonnent du coût de l’opération. Les historiens regrettent de ne pas être de la partie : alors que Gabriel Hanotaux s’était autrefois retrouvé face à la tête de ‘’son’’ Richelieu lors de l’ouverture du tombeau de la Sorbonne. Jean Tulard ne rencontrera jamais Napoléon.
17h30. Les autorités entrent sous le Dôme. Dans la chapelle Saint-Jérôme, chacun revêt une combinaison et un bonnet de chirurgien. On est prié de se munir d’un masque FFP2 neuf. Deux heures plus tôt, une grue a soulevé le couvercle de quartzite. Une vingtaine de gendarmes ont extrait de la cuve les cercueils emboîtés et les ont déposés sous la tente de plastique bleu, après quoi ils ont quitté les lieux. On appelle le président de la République qui traverse fissa la Seine. Il brûle de se trouver face à son prédécesseur.
Mais la serrure fermant le premier cercueil est grippée après tant d’années : la clé détenue par le directeur du Musée de l’armée ne tourne plus et les opérations doivent être poursuivies au pied de biche. Pour patienter, le président se félicite lui-même du mauvais tour qu’il a joué aux ‘’pro’’ et aux ‘’anti’’ Napoléon. Je vais leur en donner du bicentenaire !, avait-il dit à son secrétaire général au moment où il signait son décret, ‘’Adieu drapeaux, gerbes et discours ! Au placard les protestations des indigénistes et des autres !’’ L’autre avait loué son génie : ‘’Vous et Lui, seuls face à face’’ – et lui avait baisé la main.
Enfin les cercueils sont ouverts. On regarde, on photographie, on prélève, on referme, on remet en place. Quinze jours plus tard, les Invalides rouvriront comme promis. On oublie bientôt l’affaire, aussi vite qu’on s’en était passionné. La réouverture des restaurants, le limogeage du directeur général de la Santé et la nouvelle défaite du PSG en finale prennent sa place.
Le 2 décembre 2021, 35 journalistes assistent à la conférence de presse du président qui rappelle en préambule à quel point il est attaché à la vérité historique et à l’emploi des cadres. Il révèle enfin que la préfecture de police a rendu ses conclusions le matin même : le corps exhumé est bien celui de Napoléon, aucune trace d’arsenic n’y a été détectée. Un murmure parcourt la troupe : tout ça pour ça ! Le président conclut qu’il a fait son devoir devant ‘’les Français’’ et que la France peut dormir tranquille, comme son empereur aux Invalides.
En son for intérieur, il s’admire derechef : ‘’Voilà tout ce qu’il restera de vos fadaises de bicentenaire et de déboulonnage de statues : un zéro pour moi, la balle au centre.’’
Il s’agit d’une nouvelle et non de la relation d’un fait mais elle relate tellement bien l’événement qu’elle le rend tout à fait plausible. Je ne résiste pas au plaisir de la reproduire ci-après.
Mercredi 5 mai 2921, 4 heures du matin.
Les gendarmes mobiles prennent position autour de l’hôtel des Invalides. Nul ne pourra pénétrer dans l’enceinte. Musées et services sont fermés à double tour, les pensionnaires sont consignés dans leurs chambres. Un mois plus tôt, l’homme de l’Élysée a signé le décret d’ouverture du tombeau de l’Empereur afin de constater qu’il contient bien son corps et d’établir les causes du décès.
Les opérations ont été fixées au jour du bicentenaire de la mort de l’exilé de Sainte Hélène.
L’ouverture des cercueils doit avoir lieu sous une tente aseptisée, en présence du président de la République et en tout petit comité. Bien qu’opposé à la ‘’profanation’’, le prince Napoléon a estimé que sa place était ici. Seuls doivent officier les scientifiques du laboratoire de la préfecture de police. Échantillons et clichés rejoindront ensuite l’armoire de fer des Archives nationales, avec interdiction de les communiquer pendant cent ans. Pas plus de quinze minutes d’ouverture, et on replacera les cercueils dans le tombeau faiblement scellé pour pouvoir tenir compte des conclusions des scientifiques : inhumation à Montparnasse si le corps n’est pas celui de Napoléon, fermeture définitive s’il s’agit bien de lui. La presse s’est élevée contre cette procédure ‘’en catimini ‘’.
Les tenants de la substitution enragent d’être privés du rêve de leur vie et s’apprêtent à contester les conclusions de la PP, quelles qu’elles soient. D’autres s’étonnent du coût de l’opération. Les historiens regrettent de ne pas être de la partie : alors que Gabriel Hanotaux s’était autrefois retrouvé face à la tête de ‘’son’’ Richelieu lors de l’ouverture du tombeau de la Sorbonne. Jean Tulard ne rencontrera jamais Napoléon.
17h30. Les autorités entrent sous le Dôme. Dans la chapelle Saint-Jérôme, chacun revêt une combinaison et un bonnet de chirurgien. On est prié de se munir d’un masque FFP2 neuf. Deux heures plus tôt, une grue a soulevé le couvercle de quartzite. Une vingtaine de gendarmes ont extrait de la cuve les cercueils emboîtés et les ont déposés sous la tente de plastique bleu, après quoi ils ont quitté les lieux. On appelle le président de la République qui traverse fissa la Seine. Il brûle de se trouver face à son prédécesseur.
Mais la serrure fermant le premier cercueil est grippée après tant d’années : la clé détenue par le directeur du Musée de l’armée ne tourne plus et les opérations doivent être poursuivies au pied de biche. Pour patienter, le président se félicite lui-même du mauvais tour qu’il a joué aux ‘’pro’’ et aux ‘’anti’’ Napoléon. Je vais leur en donner du bicentenaire !, avait-il dit à son secrétaire général au moment où il signait son décret, ‘’Adieu drapeaux, gerbes et discours ! Au placard les protestations des indigénistes et des autres !’’ L’autre avait loué son génie : ‘’Vous et Lui, seuls face à face’’ – et lui avait baisé la main.
Enfin les cercueils sont ouverts. On regarde, on photographie, on prélève, on referme, on remet en place. Quinze jours plus tard, les Invalides rouvriront comme promis. On oublie bientôt l’affaire, aussi vite qu’on s’en était passionné. La réouverture des restaurants, le limogeage du directeur général de la Santé et la nouvelle défaite du PSG en finale prennent sa place.
Le 2 décembre 2021, 35 journalistes assistent à la conférence de presse du président qui rappelle en préambule à quel point il est attaché à la vérité historique et à l’emploi des cadres. Il révèle enfin que la préfecture de police a rendu ses conclusions le matin même : le corps exhumé est bien celui de Napoléon, aucune trace d’arsenic n’y a été détectée. Un murmure parcourt la troupe : tout ça pour ça ! Le président conclut qu’il a fait son devoir devant ‘’les Français’’ et que la France peut dormir tranquille, comme son empereur aux Invalides.
En son for intérieur, il s’admire derechef : ‘’Voilà tout ce qu’il restera de vos fadaises de bicentenaire et de déboulonnage de statues : un zéro pour moi, la balle au centre.’’