Evocation de la vie au domaine de GRAMPA au siècle dernier
Je vais vous parler d'un temps que les moins de cent ans ne peuvent pas connaître. Je n'ai pas cent ans mais je tiens de mon grand-père, qui y était né, la relation de ce qu'était le domaine de 'Grampa' à son époque, au siècle dernier.
Posons le décor. Grampa, situé en bas de la vallée, était, disait-il, une 'comtée' de quelques hectares appartenant aux Gavini (eh oui !!! encore eux ...) qui affermaient leurs biens à des conditions plus que généreuses. Nos arrières grands-parents, Augustin Raffaelli et sa femme Catherine ancêtres de la plupart des habitant du village de Canaghja, en furent les derniers occupants actifs.
A l'entrée du domaine une grande bâtisse de deux étages détruite depuis par le feu permettait d'y loger une trentaine de personnes. Tout autour, des prés, des châtaigniers, des oliviers, des vergers, de la vigne et de la terre à blé, des arbres fruitiers de toute sorte y compris ceux que l'on ne trouve pas habituellement dans nos régions : citronniers, orangers, grenadiers. Tout y poussait en quantité et en qualité et suffisait aux occupants pour vivre en autarcie. Bien entendu les animaux de ferme étaient là, vaches, brebis, chèvres, cochons, lapins, poules et canards.
A chaque saison correspondait une activité. Au printemps préparation des terres et du potager, en Juillet les moissons et le fourrage, en Septembre les vendanges, en Décembre l'abattage des porcs et la confection de la charcuterie. Jambons, saucisses, lonzo étaient accrochés à une perche pour être fumés dans le séchoir à châtaignes. Quant aux boudins et figatelli, ne pouvant se conserver, ils étaient consommés rapidement sur place.
Le reste du porc assurait un complément alimentaire abondant et régulier d'une année sur l'autre.
Tous les Samedis, la cuisson du pain de blé se faisait dans le four familial, la farine était produite sur place. Le blé était battu d'une façon tout à fait artisanale dans l'aire qui se trouvait au dessus de la maison car les quantités à traiter étaient modestes et, pour autant qu’il exista à l’époque des moyens plus performants, leur utilisation ne se justifiait pas.
Le fauchage se faisait à la faucille (a farge) il y a cent ans comme au siècle précédent et probablement depuis très longtemps, sans outils ni matériel à grand rendement, et cette pratique était tellement rudimentaire qu’il n’y a rien de particulier à en dire.
L’aspect le plus pittoresque de ces travaux est le battage et plus particulièrement la préparation de ‘l’aghja’ -l’aire-.
C’est la première opération, elle se déroule quelques jours avant le début des moissons.
De quoi s’agit-t-il ? D’aménager une sole souple et solide là où deux bœufs traînant un poids ‘u tribiu’ d’une trentaine de kilos, vont tourner deux ou trois jours durant.
Cette aire, comme on peut en voir encore quelques vestiges, est une surface circulaire d’une dizaine de mètres de diamètre dont l’extérieur est borné par des pierres plates qui dépassent d’une dizaine de centimètres. Elle est située sur une hauteur et surtout bien exposée au vent qui permettra, en fin d’opération, de séparer la paille du grain.
Pour réaliser le revêtement idéal qui satisferait les ‘verts’ les plus enragés, une solution ‘organique’ naturelle était utilisée et efficace. Je la révèle à la génération actuelle car son usage, on s’en doute, a disparu depuis belles lurettes. Il faut, dans un premier temps, ramasser dans la nature (ou en écurie) une centaine de kilos de bouse de vache. Mettre la récolte dans un tonneau et y ajouter une quantité suffisante d’eau pour obtenir une jolie pâte brune semi-épaisse. Laisser macérer deux ou trois jours en remuant de temps en temps pour dissoudre les masses solides (pardon pour le détail). A l’aide d’un seau, verser sur l’aire cette pâte tiédie par la fermentation en l’étalant régulièrement. Laisser sécher à l’air libre vingt quatre ou quarante huit heures puis balayer soigneusement. Le terrain est aussi souple qu'une moquette Saint-Maclou et prêt à recevoir les bottes de blé. On y fera entrer les bœufs qui tourneront en rond le temps nécessaire. On les encourage de la voix ou par quelque refrain composé en leur honneur pour ce noble travail :
Tribbia, tribbia, voga e dura (tourne, tourne infatigable)
Chi la paglia torni pulà (que la paille devienne poussière)
Chi la pulà torni granu (que la poussière devienne blé)
Voga, voga tu, Fascianu… (tourne, tourne, toi, Fascianu)
Puis entrent en scène les hommes chargés de séparer le grain de la paille. Par leur travail, la ‘spulera’, ils jettent les pelletées en l’air avec la ‘pala’. La paille, grâce au vent, s’accumule sur le bord de l’aire, le grain, plus lourd, tombe à leurs pieds. Le blé est regroupé en tas au sommet duquel on place une croix. La mise en sacs se fait à l’aide d’un décalitre, les trois premiers versés sont traditionnellement précédés d’un rituel : le premier l’est « a nome di Diu » -au nom de Dieu-, le second « di i Santi » -des Saints-, le troisième « di a Trinita » -de la Trinité-. Ces saintes invocations se terminent là.
Bien entendu toutes ces opérations se font dans la joie et la convivialité. Toute personne qui passe dans le coin, ou qui s’y invite, se doit, en guise de salut, de dire « San Mertinu » -Saint Martin- auquel il est répondu : « cusi sia » -ainsi soit-il-.
La vie à Grampa est rude mais agréable. Il y a de quoi manger et de quoi boire et l'on n'a pas le temps de s'ennuyer. Il y a de l'animation, les soirs d'été on danse la 'manfarina' au son de l'accordéon et du violon, faisant de ce lieu le passage obligé pour les jeunes d'alentours.
Le repas du matin est rustique mais copieux. Pour les hommes, et les femmes aussi, un reste de soupe de la veille, une tranche de lard, des œufs, du fromage, un verre ou deux de vin (de la piquette) et le tour est joué. Celui du midi est un peu plus consistant. La plupart du temps le 'tianu' est au menu. Il s'agit d'un ragout de pommes de terre, de choux, de fèves ou de haricots, agrémenté de mouton ou d'une crosse de jambon, rarement de viande de boucherie telle que nous la consommons aujourd'hui, mais des abats (le cinquième quart de la bête comme l'on disait) et de temps en temps de la volaille ou du lapin. Le soir, ça va de soi, la traditionnelle soupe paysanne qui pour être bonne se devait de cuire au coin du 'fucone' plusieurs heures durant et permettre à la cuillère de se tenir plantée dedans...
Bien entendu, les jours de fêtes -et ils étaient nombreux- Noël, Pâques, Ascension, Saints Patrons, mariages, retour des fiancés qui s'étaient 'enfuis' (entendre : enlevés à l'insu de leurs parents) on invitait amis et voisinage. Certes ce n'étaient pas des repas 'raffinés' mais le cœur et la générosité y étaient. On y servait charcuterie et pâtisseries, dont nos fameuses 'frappe', dans une ambiance animée et joyeuse jusqu’au moment où il fallait s’arrêter pour partir affronter les rudesses de la vie quotidienne.
Comme je l'ai rappelé plus haut, les propriétaires de Grampa étaient les GAVINI, riches notables de la commune, connus à cette époque de toute la Corse et appréciés pour leur désintéressement et leurs qualités humaines. Par tradition, toute la famille se rendait dans sa propriété l’été, y faire un pique-nique. Il y avait une trentaine de personnes. Des jeunes femmes très comme il faut, les Musso, les Farinole, les Lota et la ‘reine-mère’ douairière, ruban de velours noir autour du cou et face à main en sautoir. Elle s’exprimait en italien, c’était à l’époque une marque de distinction qui ne faisait que s’ajouter à celle toute naturelle qui émanait de sa personne en dehors de tout artifice.
Grand-père raconte : « …à quelques mètres du ‘palazzu’ –la maison Gavini- l’un d’entre-nous guettait la sortie des invités. Les femmes montaient les chevaux en amazone, les hommes suivaient, puis venaient en dernier, une ou deux mules qui portaient les vêtements ou autres accessoires. Dès que le cortège avait franchi le portail de la propriété, le premier guetteur en informait par un vigoureux coup de sifflet le second compère posté à mi-parcours qui se chargeait, lui, de signaler la progression du groupe à l’intendance afin que tout soit aussitôt mis en branle pour recevoir ces ‘personnalités’ dans les meilleures conditions… ». Le mouton grillé –nous dirions aujourd’hui le méchoui- tournait sur sa broche et le vin, ainsi que les fruits, étaient aussitôt disposés sur un lit de fougères dans la source glacée toute proche.
Pour ce qui est du repas, il est vrai qu’il variait peu d’une année sur l’autre. On ‘faisait’ ce que l’on savait faire avec ce dont on disposait. Les entrées, ou plutôt l’entrée, était inévitablement composée de charcuterie, jambon, coppa, saucisse. Le pain de blé était sorti du four le matin même et présenté en tranches épaisses dans une rustique panière en lattes de châtaignier tressées. Quant au plat principal c’était, on l’a vu, le mouton. Il serait débité au fur et à mesure et tendu sans façons aux convives qui s’en amuseraient beaucoup.
Pas de repas sans fromage et celui-ci, fabriqué et affiné sur place était particulièrement apprécié des amateurs. Les dames par contre, un peu maniérées, le repoussaient de la main en se pinçant le nez, car l’odeur, on l’aura compris, était à la hauteur du goût c'est-à-dire…un peu forte…Venaient ensuite les fruits de la propriété puis, faites la veille pour être un peu rassises et donc meilleures, les traditionnelles ‘frappe’ –pluriel de frappa - présentes, comme il se doit dans toute fête corse qui se respecte. Frappe sucrées et fromage salé s’accommodaient fort bien du vin rosé frais qui contribuait à réchauffer les cœurs et les corps et à aplanir, du moins pour ce moment, les barrières sociales…
Si la saison n’était pas trop avancée, les convives avaient droit avant de repartir, en fin d’après-midi, aux beignets au fromage frais et faisaient mettre de côté pour les emporter, ceux qu’ils n’avaient pas consommés sur place. Satisfaits de leur partie de campagne au terme d’une journée inhabituelle, ils regagnaient Campile, leur lieu de villégiature à une heure de marche de là. Les métayers, eux, retrouvaient leurs occupations et leur calme, honorés par cette visite et déjà préoccupés par les tâches du lendemain.
Voila ce que je peux dire de Grampa. Enfant, les récits que me racontait 'babone' me faisaient rêver d'autant que non loin de là se trouvait le village moyenâgeux du Mazzone, aujourd'hui en ruines mais dont nous reparlerons une autre fois.
Je vais vous parler d'un temps que les moins de cent ans ne peuvent pas connaître. Je n'ai pas cent ans mais je tiens de mon grand-père, qui y était né, la relation de ce qu'était le domaine de 'Grampa' à son époque, au siècle dernier.
Posons le décor. Grampa, situé en bas de la vallée, était, disait-il, une 'comtée' de quelques hectares appartenant aux Gavini (eh oui !!! encore eux ...) qui affermaient leurs biens à des conditions plus que généreuses. Nos arrières grands-parents, Augustin Raffaelli et sa femme Catherine ancêtres de la plupart des habitant du village de Canaghja, en furent les derniers occupants actifs.
A l'entrée du domaine une grande bâtisse de deux étages détruite depuis par le feu permettait d'y loger une trentaine de personnes. Tout autour, des prés, des châtaigniers, des oliviers, des vergers, de la vigne et de la terre à blé, des arbres fruitiers de toute sorte y compris ceux que l'on ne trouve pas habituellement dans nos régions : citronniers, orangers, grenadiers. Tout y poussait en quantité et en qualité et suffisait aux occupants pour vivre en autarcie. Bien entendu les animaux de ferme étaient là, vaches, brebis, chèvres, cochons, lapins, poules et canards.
A chaque saison correspondait une activité. Au printemps préparation des terres et du potager, en Juillet les moissons et le fourrage, en Septembre les vendanges, en Décembre l'abattage des porcs et la confection de la charcuterie. Jambons, saucisses, lonzo étaient accrochés à une perche pour être fumés dans le séchoir à châtaignes. Quant aux boudins et figatelli, ne pouvant se conserver, ils étaient consommés rapidement sur place.
Le reste du porc assurait un complément alimentaire abondant et régulier d'une année sur l'autre.
Tous les Samedis, la cuisson du pain de blé se faisait dans le four familial, la farine était produite sur place. Le blé était battu d'une façon tout à fait artisanale dans l'aire qui se trouvait au dessus de la maison car les quantités à traiter étaient modestes et, pour autant qu’il exista à l’époque des moyens plus performants, leur utilisation ne se justifiait pas.
Le fauchage se faisait à la faucille (a farge) il y a cent ans comme au siècle précédent et probablement depuis très longtemps, sans outils ni matériel à grand rendement, et cette pratique était tellement rudimentaire qu’il n’y a rien de particulier à en dire.
L’aspect le plus pittoresque de ces travaux est le battage et plus particulièrement la préparation de ‘l’aghja’ -l’aire-.
C’est la première opération, elle se déroule quelques jours avant le début des moissons.
De quoi s’agit-t-il ? D’aménager une sole souple et solide là où deux bœufs traînant un poids ‘u tribiu’ d’une trentaine de kilos, vont tourner deux ou trois jours durant.
Cette aire, comme on peut en voir encore quelques vestiges, est une surface circulaire d’une dizaine de mètres de diamètre dont l’extérieur est borné par des pierres plates qui dépassent d’une dizaine de centimètres. Elle est située sur une hauteur et surtout bien exposée au vent qui permettra, en fin d’opération, de séparer la paille du grain.
Pour réaliser le revêtement idéal qui satisferait les ‘verts’ les plus enragés, une solution ‘organique’ naturelle était utilisée et efficace. Je la révèle à la génération actuelle car son usage, on s’en doute, a disparu depuis belles lurettes. Il faut, dans un premier temps, ramasser dans la nature (ou en écurie) une centaine de kilos de bouse de vache. Mettre la récolte dans un tonneau et y ajouter une quantité suffisante d’eau pour obtenir une jolie pâte brune semi-épaisse. Laisser macérer deux ou trois jours en remuant de temps en temps pour dissoudre les masses solides (pardon pour le détail). A l’aide d’un seau, verser sur l’aire cette pâte tiédie par la fermentation en l’étalant régulièrement. Laisser sécher à l’air libre vingt quatre ou quarante huit heures puis balayer soigneusement. Le terrain est aussi souple qu'une moquette Saint-Maclou et prêt à recevoir les bottes de blé. On y fera entrer les bœufs qui tourneront en rond le temps nécessaire. On les encourage de la voix ou par quelque refrain composé en leur honneur pour ce noble travail :
Tribbia, tribbia, voga e dura (tourne, tourne infatigable)
Chi la paglia torni pulà (que la paille devienne poussière)
Chi la pulà torni granu (que la poussière devienne blé)
Voga, voga tu, Fascianu… (tourne, tourne, toi, Fascianu)
Puis entrent en scène les hommes chargés de séparer le grain de la paille. Par leur travail, la ‘spulera’, ils jettent les pelletées en l’air avec la ‘pala’. La paille, grâce au vent, s’accumule sur le bord de l’aire, le grain, plus lourd, tombe à leurs pieds. Le blé est regroupé en tas au sommet duquel on place une croix. La mise en sacs se fait à l’aide d’un décalitre, les trois premiers versés sont traditionnellement précédés d’un rituel : le premier l’est « a nome di Diu » -au nom de Dieu-, le second « di i Santi » -des Saints-, le troisième « di a Trinita » -de la Trinité-. Ces saintes invocations se terminent là.
Bien entendu toutes ces opérations se font dans la joie et la convivialité. Toute personne qui passe dans le coin, ou qui s’y invite, se doit, en guise de salut, de dire « San Mertinu » -Saint Martin- auquel il est répondu : « cusi sia » -ainsi soit-il-.
La vie à Grampa est rude mais agréable. Il y a de quoi manger et de quoi boire et l'on n'a pas le temps de s'ennuyer. Il y a de l'animation, les soirs d'été on danse la 'manfarina' au son de l'accordéon et du violon, faisant de ce lieu le passage obligé pour les jeunes d'alentours.
Le repas du matin est rustique mais copieux. Pour les hommes, et les femmes aussi, un reste de soupe de la veille, une tranche de lard, des œufs, du fromage, un verre ou deux de vin (de la piquette) et le tour est joué. Celui du midi est un peu plus consistant. La plupart du temps le 'tianu' est au menu. Il s'agit d'un ragout de pommes de terre, de choux, de fèves ou de haricots, agrémenté de mouton ou d'une crosse de jambon, rarement de viande de boucherie telle que nous la consommons aujourd'hui, mais des abats (le cinquième quart de la bête comme l'on disait) et de temps en temps de la volaille ou du lapin. Le soir, ça va de soi, la traditionnelle soupe paysanne qui pour être bonne se devait de cuire au coin du 'fucone' plusieurs heures durant et permettre à la cuillère de se tenir plantée dedans...
Bien entendu, les jours de fêtes -et ils étaient nombreux- Noël, Pâques, Ascension, Saints Patrons, mariages, retour des fiancés qui s'étaient 'enfuis' (entendre : enlevés à l'insu de leurs parents) on invitait amis et voisinage. Certes ce n'étaient pas des repas 'raffinés' mais le cœur et la générosité y étaient. On y servait charcuterie et pâtisseries, dont nos fameuses 'frappe', dans une ambiance animée et joyeuse jusqu’au moment où il fallait s’arrêter pour partir affronter les rudesses de la vie quotidienne.
Comme je l'ai rappelé plus haut, les propriétaires de Grampa étaient les GAVINI, riches notables de la commune, connus à cette époque de toute la Corse et appréciés pour leur désintéressement et leurs qualités humaines. Par tradition, toute la famille se rendait dans sa propriété l’été, y faire un pique-nique. Il y avait une trentaine de personnes. Des jeunes femmes très comme il faut, les Musso, les Farinole, les Lota et la ‘reine-mère’ douairière, ruban de velours noir autour du cou et face à main en sautoir. Elle s’exprimait en italien, c’était à l’époque une marque de distinction qui ne faisait que s’ajouter à celle toute naturelle qui émanait de sa personne en dehors de tout artifice.
Grand-père raconte : « …à quelques mètres du ‘palazzu’ –la maison Gavini- l’un d’entre-nous guettait la sortie des invités. Les femmes montaient les chevaux en amazone, les hommes suivaient, puis venaient en dernier, une ou deux mules qui portaient les vêtements ou autres accessoires. Dès que le cortège avait franchi le portail de la propriété, le premier guetteur en informait par un vigoureux coup de sifflet le second compère posté à mi-parcours qui se chargeait, lui, de signaler la progression du groupe à l’intendance afin que tout soit aussitôt mis en branle pour recevoir ces ‘personnalités’ dans les meilleures conditions… ». Le mouton grillé –nous dirions aujourd’hui le méchoui- tournait sur sa broche et le vin, ainsi que les fruits, étaient aussitôt disposés sur un lit de fougères dans la source glacée toute proche.
Pour ce qui est du repas, il est vrai qu’il variait peu d’une année sur l’autre. On ‘faisait’ ce que l’on savait faire avec ce dont on disposait. Les entrées, ou plutôt l’entrée, était inévitablement composée de charcuterie, jambon, coppa, saucisse. Le pain de blé était sorti du four le matin même et présenté en tranches épaisses dans une rustique panière en lattes de châtaignier tressées. Quant au plat principal c’était, on l’a vu, le mouton. Il serait débité au fur et à mesure et tendu sans façons aux convives qui s’en amuseraient beaucoup.
Pas de repas sans fromage et celui-ci, fabriqué et affiné sur place était particulièrement apprécié des amateurs. Les dames par contre, un peu maniérées, le repoussaient de la main en se pinçant le nez, car l’odeur, on l’aura compris, était à la hauteur du goût c'est-à-dire…un peu forte…Venaient ensuite les fruits de la propriété puis, faites la veille pour être un peu rassises et donc meilleures, les traditionnelles ‘frappe’ –pluriel de frappa - présentes, comme il se doit dans toute fête corse qui se respecte. Frappe sucrées et fromage salé s’accommodaient fort bien du vin rosé frais qui contribuait à réchauffer les cœurs et les corps et à aplanir, du moins pour ce moment, les barrières sociales…
Si la saison n’était pas trop avancée, les convives avaient droit avant de repartir, en fin d’après-midi, aux beignets au fromage frais et faisaient mettre de côté pour les emporter, ceux qu’ils n’avaient pas consommés sur place. Satisfaits de leur partie de campagne au terme d’une journée inhabituelle, ils regagnaient Campile, leur lieu de villégiature à une heure de marche de là. Les métayers, eux, retrouvaient leurs occupations et leur calme, honorés par cette visite et déjà préoccupés par les tâches du lendemain.
Voila ce que je peux dire de Grampa. Enfant, les récits que me racontait 'babone' me faisaient rêver d'autant que non loin de là se trouvait le village moyenâgeux du Mazzone, aujourd'hui en ruines mais dont nous reparlerons une autre fois.