Les périodes électorales en Corse étaient vécues autrefois dans un climat passionnel et conflictuel et donnaient à nos compatriotes l’occasion de s’affronter, non seulement et logiquement par leurs votes, mais aussi par leurs joutes oratoires, voir par les armes.
Il existait, c’est vrai, un comportement plus citoyen, comme on dit aujourd’hui, qui consistait à ignorer l’adversaire pour encenser d’importance le candidat de son choix. Celui-ci était alors abreuvé de couplets laudatifs où étaient mises en exergue ses qualités de cœur et ses compétences. Ainsi par exemple, en l’honneur de M.Tullius MARIOTTI, notable campilais :
« …u sgio Tulliu MARIOTTI, ne piglia gli voti a volu,
Ell’incanta omi e donne megliu che lu rusignolu… »
ou de M. Jacques GAVINI, député, ancien ministre :
« …quandu ghiunghiste in Aiacciu, ne sunnonu la Cicona
paria che fusse arrivatu Napuleone in personna… »
Des amitiés se nouaient à la faveur de ces manifestations, des mésententes coriaces, des haines aussi. Les faits et gestes de chacun étaient épiés et analysés. Peine inutile d’ailleurs car les opinions des électeurs étaient connues de tous ce qui permettait d’avoir les résultats des votes avant même l’ouverture du scrutin. La fidélité à un candidat, bien plus qu’à celle d’un parti, était la règle et les ‘changements de camp’ étaient rarissimes et très mal vécus. On ne passait pas par l’isoloir et qui se permettait de contrevenir à ce principe en se conformant à la loi, était sur le champ taxé de renégat … il n’a pas voté à découvert, disait-on « …a ci a fumata… », autrement dit, il nous a trompés !!!.
Les candidats, eux, comme c’est l’usage, faisaient la tournée des villages de la commune ou du canton, voir du département, accompagnés de leur ‘missi dominici’ et de quelques fidèles qui connaissaient bien le secteur et les convictions intimes de leurs habitants. Ils y étaient reçus avec amitié et déférence et se devaient de goûter à tout ce qui leur était présenté, boissons comme nourriture.
Je parle là des sympathisants car, par principe, on évitait de croiser les opposants. Si, par bravade, on tentait de les approcher et pourquoi pas de les convaincre, l’accueil pouvait prendre diverses tournures dont la plus courtoise consistait à recevoir l’impertinent sur le seuil de la porte. Chez nous autres corses, refuser à quiconque l’accès de sa maison est une marque infamante, c’est dire la valeur symbolique de ce comportement…
On sait la réputation qui nous était faite quant au sérieux et à l’honnêteté des scrutins électoraux. C’était un peu mérité car les pratiques frauduleuses étaient patentes et utilisées au vu et au su des autorités locales ou préfectorales par tous les candidats. La défense de ceux-ci tenait à cette seule évidence : « … si ce n’est pas moi qui ‘force’ un peu les résultats en ma faveur, c’est l’adversaire qui le fera à son profit… », alors pas d’états d’âme, pas de mauvaise conscience, même l’homme politique le plus scrupuleux doit en passer par là ou se faire battre. En général, d’ailleurs, le candidat sortant, disposant de la logistique nécessaire, était régulièrement réélu.
Cette élection était saluée par des salves d’armes à feu et pour sa prise ou reprise de fonctions une fête était organisée en l’honneur de l’élu. On commençait par lui élever un mât dans une ambiance chaude et colorée, et l’on servait à volonté ‘frappe’ et charcuterie.
On ne manquait pas de lui rappeler les promesses qu’il avait faites au cours de sa campagne et de solliciter si besoin les petits passe-droits qui permettraient d’accéder à telle ou telle fonction par le chemin le plus direct et le moins encombré.
Rentrés chez eux, les électeurs qui avaient si bien travaillé pour leur candidat, devaient affronter à présent le regard de ceux qui dans leur entourage, parents ou voisins, n’avaient pas voté comme eux. On se battait froid pour quelques temps puis, tout doucettement, les choses rentraient dans l’ordre, le calme revenait… jusqu’aux élections suivantes…